La 6ème extinction, comment l'homme détruit la vie, d'Elizabeth Kolbert

Publié le 8 Décembre 2016

Genre : Documentaire

Date de parution : Août 2015

Quatrième de couverture :

Depuis l’apparition de la vie sur Terre, il y a eu cinq extinctions massives d’espèces. Aujourd’hui, les scientifiques estiment que notre planète est en train de vivre la sixième, la plus dévastatrice depuis la disparition des dinosaures. Mais cette fois, c’est l’homme qui en est la cause.

Pour prendre toute la mesure de ce moment critique, Elizabeth Kolbert a mené une enquête passionnante sur la grande histoire de la vie terrestre, en remontant aux découvertes de Cuvier et Darwin, et sur le péril imminent qui la guette.

Des îles du Pacifique jusqu’au Muséum national d’histoire naturelle de Paris en passant par la forêt amazonienne, elle est partie à la rencontre des scientifiques qui enregistrent chaque jour de nouveaux indices d’une réalité implacable.

Avec ce livre majeur, salué dans le monde entier comme un événement, Elizabeth Kolbert signe d’une plume alerte et lumineuse le reportage le plus saisissant sur le sujet. Elle montre que l’humanité ne peut plus ignorer la crise environnementale, au risque de disparaître à son tour.

Elizabeth Kolbert est journaliste au New Yorker.

"Un inestimable état des lieux de la planète" (Al Gore).

"Une démonstration saisissante" (Bill Gates).

Mon avis :

Ce documentaire a obtenu le Prix Pulitzer de l'année 2015 en catégorie non fiction, et je l'ai trouvé passionnant. Il est extrêmement documenté et retrace de façon très pédagogique l'histoire des recherches sur les sciences de la vie et de la Terre. Il permet de mettre en évidence tous les indices en faveur de la 6ème extinction massive des espèces, et, espérons le, de tirer la sonnette d'alarme auprès du grand public et des politiques !

Seul hic, qui ne relève pas du documentaire en lui-même : j'ai trouvé certains protocoles d'expériences scientifiques discutables d'un point de vue éthique (par exemple utiliser des insecticides pour répertorier les populations d'insectes sur des parcelles de forêt, ou encore brûler et défricher des zones de forêts vierges pour étudier la survie des espèces au sein de parcelles délimitées et isolées...).

Je partage ici un extrait qui m'a particulièrement intéressée. Bonne lecture !

« En 1949, deux psychologues de l'université Harvard recrutèrent une vingtaine d'étudiants de second cycle en vue d'une expérience sur la perception. Celle-ci était simple : on montrait aux étudiants des cartes à jouer et on leur demandait de les nommer tandis qu'elles défilaient rapidement devant leurs yeux. La plupart des cartes étaient parfaitement ordinaires, mais quelques-unes avaient été modifiées, de sorte que le jeu contenait, entre autres anomalies, un six de pique rouge et un quatre de coeur noir. Lorsque les cartes se succédaient très vite, les étudiants avaient tendance à négliger ces anomalies ; ils affirmaient alors généralement par exemple que le six de pique rouge était un six de coeur, ou que le quatre de coeur noir était un quatre de pique. Quand les cartes défilaient plus lentement, ils déployaient beaucoup d'efforts pour donner un sens à ce qu'ils voyaient. Confrontés à un pique rouge, certains disaient qu'il paraissait "violet" ou "marron" ou "marron rouille". D'autres se montraient complètement perdus.
"C'est inexplicable, on dirait que les enseignes ont été inversées ou changées", observa l'un des étudiants.
"Je n'arrive pas à comprendre cette enseigne ! s'exclama un autre. Bon Dieu, je ne sais plus de quelle couleur elle est vraiment ou s'il s'agit d'un pique ou bien d'un coeur. Je ne suis même plus sûr maintenant de savoir à quoi ressemble un pique !"

Les psychologues publièrent leurs résultats dans un article intitulé "De la perception des anomalies : un paradigme". Parmi les lecteurs dont la curiosité fut éveillée par ce papier figurait Thomas Kuhn, l'historien des sciences le plus influent du XXème siècle. A ses yeux, cette expérience parut, en effet, paradigmatique : elle montrait la façon dont les gens traitent une information perturbante. Leur première réaction est de la faire entrer de force dans un cadre connu : des coeurs, des piques et des trèfles. Ils refusent aussi longtemps que possible de prendre en compte les indices révélant une discordance : le pique rouge paraît "marron", ou "rouille". Lorsque l'anomalie devient par trop aveuglante, une crise survient (ce que les psychologues ont appelé « la réaction de type "Bon Dieu !" »).

Kuhn soutint dans son oeuvre majeure, La structure des révolutions scientifiques, que ce mode de réaction était si fondamental qu'il façonnait non seulement les perceptions individuelles, mais également des domaines entiers de recherche. Les données qui ne cadraient pas avec les suppositions communément acceptées dans une discipline étaient soit écartées, soit expliquées de façon à gommer leur discordance aussi longtemps que possible. Plus les contradictions s'accumulaient, plus les ajustements devenaient alambiqués. "Comme dans cette expérience sur les cartes à jouer, la nouveauté scientifique n'apparaît qu'avec difficulté", écrivit Kuhn. En dernier lieu, quelqu'un finissait par vouloir appeler un pique rouge un pique rouge. La crise conduisait à une compréhension nouvelle et l'ancien cadre d'interprétation cédait la place à un nouveau. C'est ainsi que se produisaient les grandes découvertes scientifiques ou, pour employer l'expression dont Kuhn a lancé la vogue, les "changements de paradigme".

On peut raconter l'histoire des connaissances scientifiques concernant les extinctions en affirmant qu'elle a obéi à une série de changements de paradigme. Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, la notion même d'extinction n'existait pas. Plus on exhuma d'os étranges (ceux de mammouths, du mégathérium, de mosasaures), plus les naturalistes durent forcer leurs explications pour les faire entrer dans un cadre connu. Et ils forcèrent beaucoup : les os géants avaient appartenu à des éléphants qui avaient été emportés vers le nord par les flots du déluge ; ou bien à des hippopotames qui s'étaient égarés à l'ouest ; ou encore à des baleines présentant une denture menaçante. Lorsque Cuvier arriva à Paris, il comprit que les molaires du mastodonte ne pouvaient pas entrer dans le cadre établi : ce fut une « réaction de type "Bon Dieu !" » qui le conduisit à proposer une façon complètement nouvelle de les interpréter. Le monde des êtres organiques avait eu une histoire, reconnut-il. [...] "Bien que le monde ne change pas lors d'un changement de paradigme, le scientifique, après celui-ci, travaille dans un monde différent", écrivit Kuhn. »

La 6ème extinction, comment l'homme détruit la vie, d'Elizabeth Kolbert

Rédigé par Perrine

Publié dans #Essais

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article